Elèves, enseignants, parents : ils racontent pourquoi l’école leur manque

Qu’ils y travaillent ou fréquentent l’école, des lecteurs du « Monde » témoignent leur envie de retrouver, lorsque la situation sanitaire le permettra, ce lieu de relations humaines, d’apprentissage et de sociabilité.

Des enfants du personnel soignant au sein de l’ensemble scolaire Eugène-Napoléon-Saint-Pierre-Fourier, à Paris, le 30 avril 2020. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

« Mes élèves me manquent, l’odeur des salles de classe me manque, celle des feutres aussi, le bruit du parquet me manque, le son – et les pannes – du vidéoprojecteur me manque, mes collègues me manquent. Tout me manque. » Julie (qui a souhaité rester anonyme, comme la plupart des personnes dans cet article), enseignante en histoire-géographie à Clermont-Ferrand, a raconté sur Lemonde.fr pourquoi, en attendant cette curieuse et hypothétique rentrée scolaire, l’école lui manque.

Comme elle, plusieurs dizaines d’enseignants, élèves et parents ont témoigné leur envie de retrouver, lorsque ce sera possible, le chemin de « leur » établissement, en mai pour les écoles et les collèges et en juin peut-être pour les lycées. Et ce malgré leurs inquiétudes et les débats sur la pertinence des mesures sanitaires annoncées, ainsi que la difficulté pour les collectivités à les mettre en place dans un temps contraint. Qu’ils travaillent dans une école où la fréquentent, tous dépeignent l’importance de ce lieu d’apprentissage, d’échange, de découverte et de sociabilisation. Bien loin d’une « école à la maison » à laquelle ils sont contraints depuis plus de sept semaines.

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« Les petits secrets chuchotés à mon oreille »

Pour beaucoup d’enseignants, l’école à distance a surtout mis en avant la force des relations « non verbales » avec les élèves. Ce qui manque ainsi le plus à Morgane, professeure des écoles avec des CM1-CM2 en Vendée, « c’est tout ce à quoi on ne prête pas attention habituellement en classe » : « une main dans les cheveux pour encourager, des doigts qui filent dans le dos pour rappeler d’être concentré, les clins d’œil, les regards emplis de confiance réciproque, les éclats de rire quand je bafouille, les sourires (…), les petits secrets chuchotés à mon oreille ».

Autant de « petites choses qui font la vie de [sa] classe » et qu’elle craint de perdre avec le protocole sanitaire et les mesures, strictes mais nécessaires, pour protéger élèves et enseignants, dont Le Monde dévoilait un avant-projet le 30 avril : port du masque pour tous les personnels, pour les élèves à partir de la 6e, distanciation physique, etc.

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Plusieurs enseignants décrivent avec sensibilité l’envie de voir le visage de leurs élèves, qu’ils aperçoivent parfois à travers leur écran pendant les classes virtuelles. Après la pause des vacances de printemps « j’ai craqué, commente Tiphaine, professeure de lettres modernes en lycée dans le Finistère. Je leur ai demandé d’activer leur caméra, juste pour voir leur bouille ».

Pour elle, le contact visuel et le regard des élèves sont au cœur de la relation pédagogique, et renseignent l’enseignant du bon suivi du cours : « Celui qui sourit, celui qui s’étonne, celui qui somnole puis se réveille, celui qui boude, fronce les sourcils, celle qui ne dévoile rien ou presque, celui qui me regarde de haut, (…), celle qui comprend tout, celui qui comprend tout à coup, celui qui s’inquiète, etc. »

Elise, musicienne intervenante en milieu scolaire, le confirme : « A distance, je retrouve la relation classique “sachant-apprenant”, sans avoir suffisamment de retours pour me rendre compte si mes propositions sont adaptées aux élèves. » Les enseignants décrivent aussi le manque de ce « spectacle vivant » que constitue le cours, avec la bonne dose de mise en scène et de théâtralisation parfois mise en place pour intéresser les uns, captiver ou recadrer les autres, quand l’enseignant se fait comédien.

Projets pédagogiques et cadre de travail

Ils se languissent de l’écosystème de la classe et des cours, mais aussi des projets pédagogiques en suspens. C’est souvent à travers eux que le groupe classe s’est soudé depuis le début de l’année scolaire. « Dire que le 11 mai, nous aurions dû partir sept jours en classe verte afin de clôturer en beauté la scolarité. Le voyage sera bien différent, l’histoire en ayant décidé autrement, déplore Thibaut, professeur des écoles à Marseille. Mais nous essaierons de sortir grandis et encore plus soudés après cette épreuve ! »

Les élèves regrettent également ces projets pédagogiques en dehors de la classe. Clémentine, 8 ans, élève de CE1 dans une école publique de la Frette-sur-Seine (Val-d’Oise), évoque spontanément la « petite ferme de la classe » mise en place par sa maîtresse juste avant le confinement, et dont elle prend régulièrement des nouvelles. « Nos poussins ont bien grandi, raconte l’enfant dont la maman est aussi enseignante. Mais la poule huppée Dagogie a été enlevée par un renard ! D’habitude, il n’y a pas de renard parce qu’il y a beaucoup de monde à côté de l’école. »

Les élèves un peu plus âgés parlent, eux, du cadre de travail de leur établissement qui leur manque. Encore plus pour ceux en difficultés scolaires ou sociales. Les horaires de l’école constituent un repère parfois insoupçonné dans le quotidien de ces jeunes. « J’aimerais retourner au lycée. Avec l’école à la maison, on n’apprend rien, commente ainsi Victor, élève de 1re à Saint-Etienne. J’ai beaucoup de mal à travailler chez moi par flemme et envie de faire autre chose. J’ai l’impression de faire ça dans le vide. Une semaine après, j’ai quasi totalement oublié. »

Même constat chez Joseph, en terminale scientifique dans un lycée marseillais. « Comment dire à mon petit frère que je ne peux pas jouer tous les jours avec lui comme si c’était le week-end ? », interroge cet élève habitué au cadre de travail sérieux de son internat où il passe habituellement ses semaines.

L’école : un lieu de sociabilité

Mais l’école est aussi et surtout un lieu de sociabilité, et le manque de relations avec les camarades de classe pèse sur chacun. « D’abord, c’était plutôt cool d’être confinés, commente Léa, en terminale à Nimes. On se disait tous que c’était un événement historique. Qu’on vivait aussi le rêve de tous les candidats au baccalauréat depuis son instauration, avec la suppression des épreuves. Mais la hâte de retourner en cours s’est manifestée très vite. (…) C’est compliqué de ne voir personne, de rester enfermée. (…) On a beau les critiquer, heureusement que les réseaux sociaux sont là. »

Plusieurs parents d’élèves mettent en avant le rôle de sociabilisation de l’école qui fait cruellement défaut depuis plusieurs semaines, même pour les plus jeunes. A Paris, Sophie, maman de Noé, 3 ans, est heureuse qu’il retrouve sa classe de maternelle prochainement. Pas seulement en raison des difficultés pour elle à télétravailler avec un enfant en bas âge, mais parce que pour son fils, qui avait « trouvé son rythme, ses repères, et grandissait à vue d’œil [depuis septembre 2019], la régression est manifeste et attristante depuis le début du confinement. Il s’accroche à son doudou et sa tétine toute la journée, ne veut plus s’habiller ni se laver tout seul. Il a perdu sa lumineuse joie de vivre, (…) parle de ses copains et de sa maîtresse comme d’un lointain souvenir. »

On sous-estime, selon Sophie, l’importance de l’école comme lieu d’apprentissage de la vie sociale, de ses règles, de ses équilibres : « Je ne m’inquiète pas tant qu’il ne sache plus lire son prénom, mais qu’il mette du temps à refaire cet apprentissage de la vie en société. »

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D’autres parents évoquent le manque de ce « lieu social » qu’est l’école, mais cette fois pour eux. « C’est aussi un endroit où on papote cinq minutes avec d’autres parents devenus amis, où on échange un bonjour rapide dans le couloir, où on croise pleins de visages devenus familiers, raconte Marie-Félicie, maman d’un élève de maternelle à Grenoble. C’est le petit moment convivial avant de partir au boulot. »

Ce lieu de convivialité est aussi parfois fréquenté par des grands-parents, heureux. « Comme l’école me manque !, se lamente ainsi Monique, retraitée à Paris. Aller chercher ma petite-fille de 4 ans, s’être précipitée dix minutes avant pour acheter un pain au chocolat, voir la porte de l’école s’ouvrir, voir le joli sourire de l’enfant que vous prenez dans vos bras ! S’arrêter au square, devant une pâquerette ou un coquelicot, donner un peu de son goûter au pigeon… Est-il mort, ce beau temps ? »

 

Cet article est paru dans « Le Monde de l’éducation » Par Séverin Graveleau